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Faire face au pire des scénarios au combat

Plaidoyer pour entraîner la force dans l'armée

by Lt. Col. Ryan Whittemore | May 02, 2021

Traduction Française par Thomas Sepulchre)

[French translation of Combat Worst-Case Scenario]

combat worst case

« La clé du combat est dans les jambes, et c'est à elles qu'il nous faut nous appliquer ».

Je me souviens avoir lu cette citation du maréchal Maurice de Saxe quand j'étais encore un jeune lieutenant. Pendant de nombreuses années, je l'ai mal comprise, comme si elle validait la méthode de préparation physique de l'armée (PPA) que j'ai toujours connue, essentiellement basée sur la course lente de longue distance.

C'est lors de mon quatrième déploiement que j'ai finalement pris conscience de l'importance de la forme physique comme composante à part entière de mes fonctions de soldat. Après des années de PPA à l'ancienne, j'avais été initié au CrossFit. L'intérêt pour cette méthode d'entraînement m'a amené à lire beaucoup d'ouvrages traitant de la condition physique, et j'ai vite découvert que la forme physique ne se limitait pas au seul test de condition physique de l'armée. Mes lectures m'ont finalement conduites vers le site internet Starting Strength ainsi que les livres de Mark Rippetoe.

En tant qu'officier d'artillerie dans l'armée, on ne peut jamais échapper au voyage occasionnel à Fort Sill, dans l'Oklahoma. Ayant passé les cinq premières années de ma carrière là-bas, j'étais bien conscient que la ville de Wichita Falls, au Texas, n'était qu'à quelques minutes en voiture. Un beau jour j'ai finalement décidé de contacter Mark Rippetoe et de lui demander si je pouvais venir et visiter le Wichita Falls Athletic Club (WFAC). A peine quelques minutes plus tard, il m'a appelé, non seulement pour m'inviter au WFAC, mais aussi pour discuter de la préparation physique des militaires.

À mon arrivée au WFAC, Mark Rippetoe et moi avons immédiatement discuté des raisons pour lesquelles une préparation physique axée sur la force bénéficiait davantage aux soldats. A un certain moment, Rip m'a posé une question que j'ai d'abord trouvée assez étrange. «Quel est, selon vous, le pire scénario au combat ?» Inutile de spéculer, je me suis dit que j'allais simplement lui raconter la pire situation que j'avais personnellement vécue en opération.

Survivre à une explosion demande de la force

Le 23 mars 2009, dans la ville de Mossoul, en Irak, cinq soldats et deux interprètes de mon équipe terminaient une patrouille à pied dans le quartier connu sous le nom du « Garage de Bagdad ». Nous avions effectué une courte patrouille avec nos homologues de la Police Iraquienne dans les ruelles du quartier, en préparation d'une prochaine opération de nettoyage dans la région. Lorsque nous sommes revenus à nos véhicules, j'ai brusquement ressenti une énorme explosion. Le ciel est soudain devenu orange, brumeux, et j'ai été violemment projeté au sol. En me levant et en essayant de comprendre ce qui se passait, j'ai vu que mon interprète irakien était au sol à côté du camion. Je l'ai attrapé par le gilet pare-balles et l'ai remis sur pied. Nous avons ensuite contourné le camion au pas de course pour rejoindre un autre membre de l'équipe, puis nous nous sommes précipités vers le lieu de l'explosion, où deux policiers irakiens grièvement blessés étaient soignés et préparés pour une évacuation. Je suis arrivé à temps pour aider à transporter les deux blessés dans une camionnette pour qu'ils soient conduits à l'hôpital local.

L'épreuve entière a duré moins d'une minute. À notre grande surprise, il n'y a pas eu d'attaque consécutive. Il a fallu beaucoup plus de temps à mon cerveau pour traiter ce qu'il s'était passé, qu'à mon corps pour agir. Nous avons vite compris qu'il s'agissait d'un kamikaze portant ce qui s'est avéré être un gilet rempli de 12 kg d'explosifs, qui s'était fait exploser à moins de 10 mètres de moi.

Alors que je racontais l'histoire à Rip, il a fait une «analyse des besoins» de mon scénario. Ce qui suit est une combinaison des tâches qu'il a identifiées et de mon analyse / commentaire.

Tâche n° 1 : absorber l'explosion. 

Avec mon équipement, je pesais environ 111 kg ce jour-là, mon poids de corps étant de 84 kg pour 1m80. Par le passé, j'avais fait plus d'endurance que de musculation, et je n'avais jamais vraiment eu l'intention de gagner de la masse. Ayant été jeté au sol, j'ai subi une légère entorse à la cheville ; il est évident qu'un corps plus massif et plus fort aurait mieux absorbé cette explosion qu'un corps plus petit et plus faible. L'entraînement en force peut conférer cette masse nécessaire, et renforcer également la stabilité des tissus conjonctifs, améliorant ainsi la capacité à absorber l'énergie d'un souffle. Mon interprète irakien beaucoup plus léger (probablement 80 kg avec son matériel) n'a pas aussi bien enduré l'explosion, et à vrai dire, il n'était certainement pas aussi prompt à se relever que moi.

Tâche n° 2 : Fente

Légèrement désorienté et lesté de 27 kg d'équipement, je devais m'extraire du sol et me remettre sur pieds. Ce mouvement se situait entre un relevé et une fente. La partie « relevé » exigeait une certaine stabilité du tronc. Les abdos classiques de l'armée ne vous mènent pas à ce niveau de stabilité, alors que les soulevés de terre, les squats et les développés debout sont beaucoup plus efficaces pour construire la force requise dans les muscles du tronc. La partie « fente » du mouvement était une expression de la force des hanches, des fessiers, des quadriceps et des ischio-jambiers. Les squats sont presque universellement reconnus comme le meilleur moyen de renforcer la force dans ces zones là.

Tâche n° 3 : Soulevé de terre (deadlift)

Même si mon interprète n'était pas mort, il était un poids mort. Après m'être levé, j'ai attrapé son gilet pare-balles à deux mains et l'ai tiré pour le remettre sur pieds. Ce mouvement, certes peu académique, était de la famille des soulevés de terre, un mouvement de force, une tâche que peu de soldats accomplissent régulièrement. Un soulevé de terre régulier dans le cadre de la PPA permettrait non seulement de ramasser plus aisément des objets lourds et du matériel, mais aussi le renforcement de la musculature générale du dos, ce qui rendrait le soldat mieux à même de porter un équipement lourd ou un sac à dos pendant des heures.

Tâche n° 4 : Sprint de 10 mètres

Je ne savais pas de quelle direction provenait l'explosion, alors j'ai sprinté du côté opposé du camion pour éviter d'autres heurts et pour rejoindre mon coéquipier. Ce sprint bref est plus proche de l'entraînement en force que du jogging de faible intensité que j'avais pratiqué pendant de nombreuses années, en particulier avec un gilet pare-balles épais. Cette tâche est également liée à la précédente. Comme indiqué dans le livre Practical Programming for Strength Training, et comme Rip me l'a fait remarquer, le soulevé de terre améliorera davantage les temps de sprint chez un novice faible qu'un travail dédié sur la mécanique de la course ne le ferait.

Tâche n° 5 : Épaulé puissance  (power clean)

Nous avons chargé les victimes irakiennes à l'arrière d'une camionnette. Cette tâche est proche du mouvement d'épaulé puissance. Soulever une personne au-dessus du sol n'est pas une chose facile à faire. Bien que leur poids corporel ait été considérablement réduit par la perte malheureuse des deux jambes lors de l'attaque, il a quand même fallu un bon tirage et une extension de la hanche pour charger les policiers blessés à l'arrière du camion.

Avant ma conversation avec Rip, j'avais lu le très bon article du major Ryan Long, Why Does The Army want me weak ? (littéralement : pourquoi l'armée veut-elle que je sois faible ?) qui traite des exigences physiques du combat. J'avais également entendu le président de l'association nationale de force et de conditionnement (NSCA), le Dr Jay Hoffman, déclarer que l'entraînement en force était beaucoup plus bénéfique que l'entraînement en endurance pour préparer un soldat au combat en Afghanistan. J'étais sur la bonne voie pour devenir un fervent partisan de la fonte, mais je n'étais pas encore complètement séparé de la culture de l'entraînement physique de l'armée de terre, axée sur l'endurance. Mais alors que Rip et moi discutions de mon pire scénario de combat et des tâches de force associées, je me suis finalement rendu compte que j'avais désormais un meilleur levier pour convaincre les soldats que le combat est principalement un sport de force, pas un sport d'endurance.

Cette méthodologie, bien sûr, ne peut pas tenir compte d'événements catastrophiques ou imprévisibles tels qu'un engin explosif improvisé embarqué sur un véhicule, ou l'impact d'une balle de tireur d'élite. Ces événements, comme bien d'autres, peuvent tuer un soldat immédiatement sans qu'il ne soit possible de changer la donne. Mais s'il est question de situations où le soldat est obligé de FAIRE quelque chose, dans presque tous les cas, ce quelque chose implique de la force.

À mon retour à Fort Carson, j'ai interrogé certains soldats : « Quelle est la pire chose qui vous soit arrivée au combat ? » J'ai eu droit aux histoires de renversements de véhicules jusqu'au combat au corps à corps, et les résultats des analyses des besoins étaient cohérents.

Au moment de vérité, les soldats font presque exclusivement face à des tâches de force.

Pouvons-nous mener un entraînement de force efficace dans l'armée?

Au cours de notre conversation, Rip et moi avons abordé la question des standards de force dans l'armée. Il a évoqué quelques chiffres, et je lui ai répondu qu'à mon sens, la plupart des soldats sont actuellement trop mal préparés pour valider ces normes. La culture de l'endurance dans l'armée fait qu'il est difficile de trouver des soldats capables de faire cinq répétitions de squat à la barre chargée de l'équivalent leur poids de corps, de soulevé de terre d'une fois et demie leur poids de corps ou de développé debout de deux tiers de leur poids de corps.

J'ai commencé à me demander s'il était possible d'amener un grand nombre de militaires à atteindre ce niveau de force.

En ce qui concerne la force et le conditionnement, ici, dans le 10ème groupe de forces spéciales (aéroporté), nous avons une longueur d'avance sur la grande majorité de l'armée. Nous avons deux entraîneurs de force sous contrat et embaucherons bientôt un directeur de la performance humaine ou entraîneur en chef de la force. De plus, le physiothérapeute du groupe et moi-même sommes tous deux spécialistes de force et conditionnement certifiés. Si nous prenons la musculation au sérieux, nous pouvons créer une culture où la force est préférée à l'endurance, et nous pouvons le faire assez rapidement.

Starting Strength

Si nous prenions chaque nouvel arrivant dans le groupe et le mettions dans le programme novice de Starting Strength, en trois ans, nous améliorerions considérablement le niveau de forme physique globale et la préparation au combat de tout le groupe. Avec cinq coach de force pour superviser le programme et quatre installations de rack et plates-formes bien équipés dans notre salle de sport, voici comment je propose de diriger le programme: 

Les soldats seront classés en deux groupes en fonction de la spécialité professionnelle militaire, de l'âge, du niveau d'avancement de la formation, de la composition corporelle et d'une évaluation préalable. Le groupe «A» bénéficiera d'un entrainement trois fois par semaine, et le groupe «B» bénéficiera d'un entrainement deux fois par semaine. Ce programme de force ne suivrait pas strictement le programme novice Starting Strength - ce ne sera pas une véritable progression linéaire avec plusieurs réinitialisations jusqu'à ce que le militaire atteigne le point où il a besoin d'un programme plus complexe pour continuer à s'adapter à la force. Tudor Bompa évoque d'une phase de musculation générale de deux à quatre ans au cours de laquelle « tous les groupes musculaires, ligaments et tendons sont développés en prévision de futures charges lourdes et d'un entraînement spécifique ». Mais les soldats ne disposent pas d'autant de temps que les athlètes universitaires pour se préparer aux exigences du combat. Il a été démontré qu'un programme d'entraînement en force de 12 semaines correctement exécuté comprenant des squats, des soulevés de terre, un développé debout, un développé couché et des tractions en supination établit une base de force et de familiarisation avec l'entraînement en force qui est suffisante pour les besoins de la plupart des soldats.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j'utiliserai un programme similaire au programme pour novice Starting Strength . Premièrement, c'est super simple et c'est linéaire. La plupart des militaires qui ont fait leur propre programmation aléatoire pendant plusieurs années n'ont vraiment aucune idée de leur niveau de force. Ils n'ont jamais suivi une progression linéaire avec des augmentations de poids constantes pour provoquer l'adaptation nécessaire pour devenir plus fort. Une fois qu'ils le font, ils accompliront plusieurs choses simultanément. Ils deviendront plus forts, cela ne fait aucun doute. Bien que mon expérience soit limitée, je n'ai encore vu personne ne pas devenir plus fort en utilisant le programme novice de Starting Strength. Deuxièmement, leurs progrès renforceront la confiance donnée aux entraîneurs. C'est un aspect important, en particulier dans la communauté des opérations spéciales, où la confiance ne se gagne que grâce à des performances exceptionnelles. Les soldats verront que les entraîneurs de force savent vraiment de quoi ils parlent en matière de prise de force, il est donc raisonnable de s'attendre à de bons résultats si l'on suit la programmation future en ce qui concerne le conditionnement, l'amélioration de la composition corporelle ou la préparation spécifique pour les missions à venir. Enfin, la simplicité du programme laisse le temps de mettre l'accent sur la technique. Cette attention se reportera à tout programme futur et réduira le nombre de blessures d'entraînement physique à long terme.

Dans notre nouvelle salle de sport, dénommée « installation d'optimisation humaine », nous disposerons de quatre racks et plates-formes bien équipés. L'entraînement en force pourrait être effectué en quatre groupes de trois haltérophiles, avec deux entraîneurs de force supervisant chacun deux supports. En organisant quatre séances par jour, disons 06h00, 11h30, 15h00 et 16h30, avec le concept des groupes «A» et «B», 96 soldats seraient impliqués dans un entraînement en force pendant la période de 12 semaines. Avec quatre sessions tout au long de l'année, environ 400 soldats peuvent faire des gains de force importants au cours de chaque année civile. Après seulement quelques années de mise en œuvre, nous pouvons présumer que chaque soldat du Groupe pourrait répondre aux normes de force précédemment mentionnées pour le squat, le soulevé de terre et la presse.

La conduite du programme tel que décrit ci-dessus garantirait toujours que le reste des militaires du groupe disposerait de suffisamment de temps pour effectuer leur test de condition physique normal tel que prescrit par les entraîneurs de force. Après avoir construit une base de force dans le programme de 12 semaines, les soldats seront placés sur un programme spécifique à leurs besoins. Ils commenceront ce programme beaucoup plus fort qu'avant, moins susceptibles de se blesser, avec une technique améliorée, plus à l'aise et plus confiants. Practical Programming for Strength Training note que la force diminue beaucoup plus lentement que la VO2 max (p.75).

Comme le recommande également l'article du major Long, établir d'abord une base de force vous donnera la possibilité d'adapter votre conditionnement à vos besoins du moment. Qu'il s'agisse de préparer le test de condition physique de l'armée ou d'opérations à haute altitude en Afghanistan, les soldats forts auront un avantage sur les soldats faibles dans l'accomplissement d'un programme de conditionnement conçu pour augmenter l'endurance.

Toutes les unités n'ont pas le luxe d'avoir leur propre gymnase et leurs propres entraîneurs de force. La bonne nouvelle, c'est que l'armée a tendance à suivre les bonnes idées de la communauté des forces spéciales, cela prend juste du temps. Dans l'intervalle, les unités devraient prioritairement utiliser les installations disponibles sur place pour faire de la musculation. Bien que l'utilisation de ces installations soit un avantage appréciable de la vie militaire, leur utilisation dans le but d'accroître la préparation au combat des soldats est bien plus importante. Les unités devraient identifier du personnel qualifié pour mettre en œuvre la formation sportive, et elles peuvent commencer à faire des progrès par elles-mêmes vers une armée plus forte et plus apte au combat.

Dernier mot

« La clé du combat est dans les jambes, et c'est à elles qu'il nous faut nous appliquer ».

Je crois maintenant que le maréchal Maurice de Saxe parlait de squat et de soulevé de terre. Bien qu'il ne le savait peut-être pas. Des jambes et des hanches solides sont le résultat d'un bon programme de préparation physique. Nous devons maintenant nous appliquer à en doter nos soldats. Ayant désormais mené moi-même un programme de musculation à progression linéaire, je sais que je suis mieux préparé pour relever les défis du combat aujourd'hui qu'il y a 2 ans.

Bien que les dangers inhérents au combat soient toujours présents et en constante évolution, les tâches clés qui augmentent la capacité de survie de nos soldats sur le champ de bataille resteront indéniablement axées sur la force. Si vous vous posez la question de savoir quelle est la pire chose qui vous soit arrivée au combat, je suis convaincu que vous arriverez au même raisonnement que moi. Et prescrire l'entraînement de force au début de la carrière d'un soldat lui donnera une capacité physique persistante et utile qui améliorera ses performances futures de combattant.


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