Mal de dos et force du dos by Mark Rippetoe | May 09, 2021 Traduction Française par Etienne Chaudron) [French translation of Back Pain and Back Strength] Il arrive parfois que l’opinion dominante soit aux antipodes de la réalité de la situation. Notre récente élection présidentielle en est un exemple frappant, autant que l’idée que la course à pied fait maigrir, que les enfants disent toujours la vérité ou qu’il faut faire passer une nouvelle loi pour empêcher des comportements déviants. En voici une autre : si vous avez mal au dos, reposez-vous, étirez-vous, faites trente séances de kiné, faites du « core training » avec des exercices d’abdos et un ballon de fitness, et si ça ne fonctionne pas, faites-vous opérer. En réalité, si vous avez mal au dos, c’est simplement que vous êtes un être humain bipède de plus de trente ans, et le meilleur moyen de vous soulager est de renforcer votre dos avec du squat et du soulevé de terre. Le squat et le soulevé de terre aux barres libres semblent absolument contre-indiqués pour soulager les douleurs chroniques au dos. C’est en effet à l’opposé de l’opinion dominante. Pourtant, la méthode fonctionne presque à chaque fois si vous pratiquez les exercices intelligemment. Dans 90 % des cas, non seulement le renforcement du dos fait disparaître le mal de dos, mais vous retrouvez une fonction normale et sans encombre en moins d’un mois. À titre contextuel, le mal de dos est le premier motif d’arrêt de travail aux États-Unis – et par extension dans le reste du monde. Le mal de dos est le dénominateur commun de l’existence humaine, et ceci depuis très longtemps. Notre colonne vertébrale est une superbe structure qui offre de la souplesse au torse tout en protégeant les composantes non cérébrales majeures de notre système nerveux. Tous les vertébrés partagent cette structure, des poissons aux félins, aux francs-maçons – et ce sont les francs-maçons qui ont le plus de problèmes de dos. La raison est que toutes les colonnes vertébrales (ou rachis) sont conçues de la même façon, mais occupent des environnements mécaniques différents. Les segments du rachis sont composés de blocs osseux (corps vertébraux) et de blocs souples (disques intervertébraux). Ces blocs sont disposés de sorte qu’un segment osseux soit toujours séparé d’un segment souple ; le poisson peut alors nager, le félin peut monter sur vos genoux et le franc-maçon peut s’agenouiller au moment opportun. Nous sommes tous soumis à la même gravité – du moins avant que Elon Musk ait eu l’idée de s’installer sur Mars. Le poisson est en suspension dans l’eau et les segments vertébraux qui composent son rachis sont pratiquement déchargés. Le chat repose sur ses quatre pattes et son rachis est chargé par une force de cisaillement, car la force de la gravité s’applique sur son corps perpendiculairement à son dos. Notre franc-maçon est debout, droit comme un chêne, et la gravité exerce une force de compression sur son dos – une force parallèle au rachis qui comprime les disques intervertébraux entre les segments osseux. Ses disques sont identiques à ceux du poisson et du chat, mais leur historique mécanique est différent en raison de sa bipédie. Les poissons et les quadrupèdes existent depuis plus longtemps que nous, et notre colonne vertébrale est simplement la version redressée d’une structure qui n’était pas conçue pour être en compression. Nous pouvons facilement tolérer le cisaillement lorsque nous soulevons des objets du sol, car nos muscles protègent cette position ; et nous ne passons pas toute la journée penché. Mais quand nous ne sommes pas en train de faire la sieste ou de ferrer des chevaux, notre posture normale est debout. Nous sommes en permanence redressés avec un rachis conçu pour être à l’horizontale et ce positionnement provoque des problèmes que nous devons corriger. Cette particularité anatomique conduit notre dos à se dégrader dans le temps en raison de sa compression – et cela vaut pour tout le monde. Si on conduisait une étude IRM sur mille adultes de plus de trente ans, on observerait une pathologie dégénérative du rachis chez pratiquement tout le monde. Quand vous arrivez à l’âge adulte, on peut toujours vous détecter quelque chose pouvant être considéré comme source de douleur au niveau du dos, ce qui a plusieurs conséquences. I. Si vous avez plus de trente ans et que vous allez chez votre médecin pour un mal de dos chronique, il vous prescrira un examen médical – scanner ou IRM – et vous trouvera forcément un problème au dos. Toutefois, le problème qu’il aura identifié ne sera pas nécessairement la cause de votre douleur, car tout le monde présente des problèmes similaires sans pour autant ressentir de douleur. Il est important de comprendre que toute personne adulte présente des modifications dégénératives de la colonne vertébrale, mais toute personne adulte ne souffre pas de mal de dos chronique. II. Parfois, une IRM montre une pathologie du dos à un stade avancé, mais la personne n’éprouve aucune douleur. À l’inverse, vous pouvez avoir tout le temps mal au dos sans avoir de pathologie notoire. Par conséquent, une « discopathie dégénérative » peut être ou non source de douleur. Les personnes atteintes d’une discopathie n’ont pas toutes mal au dos, tandis que certaines sont fortement handicapées par la douleur malgré un dos en relatif bon état. La raison est que le mal de dos n’est pas toujours explicable par un endommagement ou une inflammation des structures du rachis. Cela a sans doute plus à voir avec l’interprétation de la douleur par l’individu, ce qui explique que l’exercice est souvent efficace pour faire comprendre aux gens qu’il y a un lien fort entre douleur et perception. III. Si votre médecin s’avère être chirurgien, il vous trouvera quelque chose à opérer – car il y aura toujours un problème découvert en imagerie. Beaucoup d’entre eux sont au courant de ce phénomène et sont prudents avant de recommander une opération. Mais si vous avez vraiment mal, vous pouvez être tenté d’insister pour vous faire opérer alors que ce n’est pas nécessaire. Environ 1/3 des opérations du dos peuvent être considérées « réussies », au sens où elles soulagent la douleur (généralement des douleurs aigües, après un traumatisme identifiable), 1/3 ne changent rien à la douleur et 1/3 aggravent la douleur. Par conséquent, 2/3 des opérations du dos sont des ratés. Alors, réfléchissez avant de franchir le pas. Il existe une autre option. Je gère une salle de musculation ainsi qu’un site internet vaste et interactif, j’ai donc été confronté à un immense échantillon d’individus ayant dépassé la trentaine – de nombreuses personnes à des stades divers de dégénérescence vertébrale. L’immense majorité d’entre eux souffrent de douleurs au dos de temps en temps ; moi y compris. Et puisque ce sont à peu près tous des êtres humains, ils vivent ce que la majorité de la population vit. La différence est que leur mal de dos – lorsqu’il survient – est gérable, de courte durée et moins fréquent que chez la plupart des gens, car leur dos est plus fort. Mon forum est rempli d’exemples de personnes désespérées voulant s’entraîner avec des barres après une longue période de douleurs chroniques au dos, et qui sont satisfaites quand leur mal de dos disparaît ou s’estompe grandement après trois semaines d’entraînement. Ces personnes utilisent le squat et le soulevé de terre pour traiter leur mal de dos – leur remède est de gagner de la force à l’aide des meilleurs exercices de renforcement possibles – et la méthode fonctionne. Ce n’est pas vraiment surprenant, car des muscles forts sont davantage en mesure de soutenir un dos âgé que des muscles faibles. On ne peut pas vraiment contrer les effets de la compression et de l’âge sur la colonne vertébrale d’un animal redressé – bien qu’un chargement régulier et progressif des os et des disques rendent ceux-ci plus denses et plus résistants que ceux d’une personne sédentaire – mais on peut améliorer l’aptitude des muscles qui la soutiennent à faire leur boulot. C’est ce que certains kinés essayent de faire en prescrivant du « core training » pour traiter le mal de dos – une série d’exercices pour les muscles profonds, et minuscules, qui soutiennent le rachis. Cette approche présente un double problème. Tout d’abord, ces petits muscles ne sont pas les seuls qui soutiennent le rachis. Les muscles plus importants du bas du dos et l’essentiel de la musculature abdominale ne peuvent pas être renforcés correctement avec les exercices au poids du corps de ce type de méthode. Ensuite, les mouvements de flexion et d’extension du dos souvent prescrits peuvent accentuer une inflammation vertébrale déjà présente – au niveau des facettes articulaires, des racines nerveuses ou des disques, et qui sont souvent à la source d’une douleur. En somme, ces exercices ne sont pas travaillés assez lourds pour renforcer la personne et les mouvements d’isolation en flexion-extension font plus de mal que de bien. Si les muscles majeurs ne sont pas renforcés, on ne résout pas le problème – celui de la stabilité vertébrale. Avec l’âge, le rachis perd son aptitude à occuper les positions qu’il pouvait occuper auparavant. Un poisson, un félin ou un enfant peut se contorsionner sans problème, mais notre franc-maçon a perdu de l’épaisseur dans les disques intervertébraux et ne peut plus tellement tordre son dos. De plus, s’il s’amuse à se contorsionner, les excroissances osseuses qu’il aura développées à cause de l’arthrose vont sûrement embêter les tissus mous adjacents. La fonction normale des principaux muscles autour du rachis est la stabilisation, une fonction particulièrement importante chez l’homme, dont les composantes vertébrales se dégradent avec l’âge. Certes les petits muscles ont un rôle, mais les muscles plus importants sont à l’évidence les principaux vecteurs de stabilité. D’ailleurs, les muscles majeurs accomplissent quasiment seuls toutes les tâches que le corps commande, et quiconque a déjà chargé du foin dans une remorque le sait très bien – vous avez eu des courbatures dans les hanches, le dos et les jambes, ou au niveau du muscle jumeau supérieur ? Un exercice qui travaille les muscles majeurs travaille aussi les muscles mineurs, car lorsque les charges deviennent élevées, chaque muscle est forcé de participer. Cela signifie que des exercices à la barre comme le squat et le soulevé de terre, réalisés avec le dos parfaitement plat, travaillent tous les muscles et autres tissus, petits ou grands, chargés de maintenir le dos à plat. Quand votre soulevé de terre passe de 15 kg à 60 kg, à 120 kg, l’ensemble des muscles chargés de stabiliser le rachis se renforcent et deviennent plus efficaces dans leurs tâches, car ils y sont obligés : l’augmentation progressive de la charge oblige les tissus sous contrainte à se renforcer. Aussi, le processus de renforcement musculaire vous montre que vous êtes en bon état. Toutes les douleurs ne sont pas liées à une inflammation structurelle dans le dos. Certains aspects de la douleur sont des réactions comportementales acquises, la sensation est nommée « douleur » – tout le monde éprouve ces sensations, car le dos se dégrade chez tout le monde, mais tout le monde ne les interprète pas comme une douleur. La pratique du soulevé de terre avec une barre de plus en plus lourde peut vous redonner confiance dans la réalisation de vos mouvements habituels et, de ce fait, modifier drastiquement votre perception de la douleur. Ce qui n’est pas possible avec des relevés de bustes ou des exercices sur un ballon de fitness, qui ne parviennent pas à renforcer les muscles majeurs ni à vous réapprendre à bouger comme ces deux exercices importants. Il semble contre-intuitif de faire du squat avec une barre quand vous avez mal au dos. Mais cherchez la racine du mal : si votre dos est trop faible pour être stable, la solution est de pratiquer des exercices qui renforcent progressivement votre dos tout en le maintenant stable. Pour vous convaincre que la force du dos est essentielle, rien n’est plus efficace que d’entraîner des mouvements qui l’utilisent et l’améliorent. Les relevés de buste, qui mobilisent peu de masse musculaire et aucune charge extérieure, ne peuvent pas renforcer les muscles du tronc très longtemps. Le squat et le soulevé de terre, qui utilisent presque tous les muscles majeurs du corps ainsi que ses petits muscles profonds, chargent le dos et peuvent le renforcer pendant des années. Vous avez sans doute peur d’aggraver votre mal de dos, c’est pourquoi vous devez commencer léger avec des poids qui ne déclenchent aucune douleur. À partir de là et en conservant une bonne technique, vous augmenterez petit à petit les charges. Votre dos est usé, car vous êtes un être humain qui vieillit, et on ne peut rien y faire. Seulement, vous préférez avoir un vieux dos fort, ou un vieux dos faible ? C’est à vous de décider. English version